Aimer n’est pas tout accepter
- Véronique Bérard
- 24 juil.
- 4 min de lecture

Réflexion sur l’amour inconditionnel, la croissance personnelle et la responsabilité affective
L’idée d’un amour inconditionnel – aspiration humaine aussi ancienne que fondatrice – est souvent mal comprise. Chez certains de mes patients, cette notion est interprétée comme le droit d’être aimé sans réserve, sans critique, sans friction, et surtout sans remise en question.
J’aime d’ailleurs dire : « Un couple sans frictions est un couple de fiction » !
Le raisonnement, en apparence légitime, prend cette forme : « Si tu m’aimes vraiment, tu dois m’aimer tel que je suis, avec mes réactions, mes défauts, mes blessures… Tu ne dois rien me demander de changer. »
Derrière cette croyance se dissimule souvent une peur profonde de ne pas être aimable, et une tentative de protéger son identité de toute forme de mouvement intérieur.
Or, l’amour ne signifie pas l’immobilisme. Il y a une différence majeure entre "rester soi-même" et "refuser d’évoluer".
L’accompagnement thérapeutique n’a jamais pour visée de transformer l’individu en quelqu’un d’autre, mais plutôt de l’aider à souffrir moins dans le rapport à lui-même et aux autres.
Il ne s’agit pas de devenir une version idéalisée de soi, mais de mieux se connaitre pour mieux habiter son humanité, son identité.
Ce que l’amour inconditionnel n’est pas
L’amour inconditionnel n’est pas une absence de discernement. Ce n’est pas l’aveuglement, ni l’acceptation passive de comportements destructeurs.
Aimer quelqu’un profondément n’implique pas de valider ses attitudes nuisibles – pour soi, pour les autres, ou pour la relation elle-même.
Cette confusion est fréquente, et pourtant elle porte en germe une immense désillusion : celle de croire qu’aimer, c’est ne plus poser de limites.
Le psychiatre Scott Peck écrit dans Le chemin le moins fréquenté que l’amour véritable est une volonté active de favoriser la croissance spirituelle et émotionnelle de l’autre. Cela suppose parfois de confronter, de dire non, de s’éloigner ou de nommer des comportements inadéquats.
Refuser cela, au nom de l’amour, c’est souvent entretenir une forme de dépendance ou de déni.
L’autre ne doit pas s’adapter à mes blessures
Un point essentiel à rappeler est que l’amour n’est pas un pansement psychologique.
Beaucoup de souffrances dans les relations viennent de ce qu’on attend inconsciemment de l’autre qu’il comble nos manques, calme nos angoisses ou compense nos blessures.
Si je suis activé(e) émotionnellement par l’attitude de mon partenaire, de mon enfant ou de mon ami, la question n’est pas « Pourquoi m’a-t-il dit ça ? » mais « Qu’est-ce que cela active en moi ? ».
Cela ne signifie pas que l’autre peut tout se permettre. Mais dans une dynamique adulte, chacun prend la responsabilité de ce que la relation vient toucher en lui, au lieu d’attendre que l’autre modifie son comportement pour apaiser nos inconforts.
Cette posture intérieure exigeante consiste à accepter d’entrer dans l’inconfort pour le traverser, plutôt que de le fuir ou de le faire porter à l’autre. Elle est au cœur de toute démarche thérapeutique sincère.
Je peux aimer quelqu’un… sans apprécier ses comportements
Cette distinction est particulièrement salutaire, notamment dans la parentalité.
Dire à un enfant « Je n’aime pas ton copain Antoine » crée une confusion entre le comportement et l’identité. Dire « Je n’ai pas aimé la façon dont Antoine m’a parlé » est bien différent : cela enseigne à distinguer l’acte de l’être, et à ne pas coller une étiquette globale à la personne.
Dans le couple, c’est tout aussi fondamental. « Je t’aime profondément, mais je n’accepte pas tes paroles insultantes lorsque tu es en colère. »
Cet énoncé incarne à la fois la force de l’amour et la clarté des limites.
L’amour n’est pas incompatible avec la fermeté. Bien au contraire, il se renforce dans un espace où chacun peut dire sa vérité sans peur de perdre l’autre.
Le philosophe Emmanuel Levinas a profondément réfléchi à la question de l’altérité. Sans parler directement de l’amour, il a montré que la rencontre du visage de l’autre m’oblige : elle fait naître une responsabilité qui ne repose pas sur la symétrie, mais sur la reconnaissance de la vulnérabilité.
Cela nous rappelle que l’amour véritable engage, mais ne se confond pas avec la fusion ou l’effacement.
Aimer, c’est aussi évoluer ensemble
Aimer vraiment, c’est vouloir le bien de l’autre – pas seulement son confort, mais son épanouissement. C’est reconnaître que parfois, ce que nous appelons "amour" est en réalité une forme de peur : peur du rejet, peur d’être seul, peur de perdre l’image que l’on a de soi.
Il est possible de dire : « Je t’aime tel que tu es, et j’ai confiance dans ta capacité à traverser ce que tu vis, à ta manière, en ton temps. » Aimer, c’est aussi faire le pari de la force intérieure de l’autre, et lui offrir un regard qui soutient sans diriger, qui croit sans attendre. C’est parfois cette confiance silencieuse, construite dans la relation, qui devient le terreau d’une évolution profonde et libre.
En conclusion
L’amour n’est pas un abandon de soi à l’autre, ni un renoncement à toute exigence. Il est une rencontre entre deux libertés, deux histoires, deux responsabilités. Il ne se nourrit ni du déni, ni du sacrifice, ni de la fusion, mais d’une conscience partagée et d’un désir commun de vérité.
Aimer vraiment, ce n’est pas refuser d’évoluer. C’est au contraire créer un espace de sécurité intérieure où chacun peut se remettre en question sans peur de ne plus être aimé. Et c’est peut-être là que commence l’amour véritable : non pas là où tout est permis, mais là où tout est possible!






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