Derrière le miracle, le vertige : les émotions cachées de la parentalité
- Véronique Bérard
- 4 nov.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 nov.

L’injonction au bonheur
Devenir parent est souvent présenté comme l’un des plus grands bonheurs de la vie. Les images de douceur, de plénitude et de tendresse abondent : la mère comblée, le père émerveillé, le bébé paisible. Mais derrière ces représentations idylliques se cache une réalité souvent plus complexe. Car la naissance d’un enfant, tout en étant un moment magnifique, est aussi une période de bouleversements intenses, physiques, émotionnels, identitaires et relationnels.
Or, dans notre société saturée d’injonctions au bien-être et à la réussite, il devient presque interdit de ne pas aller bien à ce moment précis. Beaucoup de parents se sentent alors pris au piège : heureux d’avoir accueilli leur enfant, mais profondément déroutés par ce qu’ils ressentent — ou par ce qu’ils ne ressentent pas.
Des émotions multiples, parfois dérangeantes… et pourtant normales
De nombreux parents témoignent :
« Je voyais ce bébé et je ne ressentais rien. »« J’étais censé être heureux, mais j’avais juste envie de fuir. »« J’étais submergée, épuisée, et pleine de culpabilité. »
Ces vécus sont fréquents, bien qu’ils soient rarement exprimés. Ils ne sont ni anormaux, ni honteux. Ils traduisent simplement la réorganisation intérieure qui s’opère à ce moment charnière : la rencontre entre ce qu’on avait imaginé et la réalité vécue.
Les émotions possibles à la naissance ou dans les premiers mois peuvent aller de la joie et la tendresse à la peur, la tristesse, la colère, le vide ou la confusion. Certaines mères décrivent un sentiment d’étrangeté face à leur bébé. Certains pères se sentent en retrait, inutiles ou dépassés. Ces émotions ne disent pas :
« Je n’aime pas mon enfant », mais : « Je suis en train de naître, moi aussi, autrement. »
Matrescence et patrescence : devenir parent est un processus
On ne naît pas mère ou père du jour au lendemain : on le devient. Le mot "matrescence" décrit cette transformation profonde qui accompagne la maternité ; la "patrescence" en est le pendant pour le père. Tous deux traversent un changement d’identité : leurs repères vacillent, leurs priorités se déplacent, leur couple se redéfinit.
Ce processus, souvent long, s’accompagne parfois de fatigue intense, de doutes, de solitude ou de désajustements hormonaux et émotionnels. Il ne s’agit pas d’un échec, mais d’un chemin de croissance — celui qui mène vers une nouvelle version de soi, capable d’aimer autrement.
La pression du modèle parfait
Les chiffres sont parlants : environ 1 femme sur 5 et 1 homme sur 10 vivent une forme de dépression ou de grande vulnérabilité dans les mois entourant la naissance. Pourtant, ce vécu reste encore tabou, car il contredit le modèle social de la maternité et de la paternité idéales. Cette dissonance crée un écart douloureux entre le vécu intérieur et l’image qu’on pense devoir donner.
Le résultat : silence, honte, culpabilité, isolement. Beaucoup de parents cachent leurs émotions, craignant d’être jugés ou incompris, et finissent par s’enfermer chacun dans leur coin, alors même qu’ils auraient besoin de se parler.
Le risque pour le couple : le non-dit
Lorsqu’un parent n’ose pas partager son mal-être, par peur d’inquiéter ou de blesser l’autre, une distance subtile s’installe. Chacun peut croire que l’autre “gère mieux”, “supporte mieux”, ou “a tourné la page”.
En réalité, le non-dit crée une fracture silencieuse : l’un se referme, l’autre se sent exclu, et le couple s’épuise à “tenir bon” plutôt qu’à se rencontrer.
La naissance peut devenir un test relationnel : l’intimité change de forme, la communication doit s’inventer autrement. Ce n’est pas un signe de faiblesse : c’est une invitation à parler vrai, à exprimer l’indicible.
Comment traverser cette période
Autorisez toutes vos émotions.
Ce que vous ressentez n’est ni un signe de rejet ni de faiblesse. C’est une réponse humaine à une expérience bouleversante.
Parlez-en.
À votre partenaire, à un proche bienveillant, à un thérapeute. Mettre des mots, même maladroits, allège déjà la charge intérieure.
Écoutez-vous mutuellement.
En couple, créez des moments où chacun peut dire : “Voici ce que j’ai vécu, ce que je ressens, ce qui m’a manqué.”
L’objectif n’est pas de trouver une solution immédiate, mais de se reconnaître mutuellement.
Ralentissez.
Acceptez que le lien avec votre enfant se construise jour après jour, parfois avec des hauts et des bas.
Cherchez du soutien.
Groupes de parole, professionnels de la parentalité, espaces thérapeutiques… Vous n’avez pas à porter cela seul·e.
Rappelez-vous :
Faire de son mieux, ce n’est pas tout réussir. C’est agir en fonction de ses ressources du moment. Et cela suffit.
Accueillir un enfant, c’est aussi se rencontrer à nouveau soi-même.C’est découvrir que l’amour n’est pas toujours paisible ni immédiat, mais qu’il grandit dans les interstices du vrai.
Vous avez le droit d’être traversé(e) par des émotions contradictoires : elles sont le signe que vous êtes vivant(e), que vous ressentez, que vous cherchez votre juste place dans cette nouvelle histoire.
Alors, au lieu de vous juger, écoutez-vous.
Au lieu de vous taire, parlez.
Osez dire ce qui se passe en vous. Osez écouter ce qui se passe chez l’autre. Car la parole libère ce que le silence enferme et c’est souvent au moment où l’on se dit enfin les choses que le lien recommence à respirer.
Ce n’est pas en fuyant la vulnérabilité qu’on protège le couple, mais en la partageant.
C’est en se rencontrant dans ce qui tremble qu’on se rejoint vraiment.
Et surtout, ne confondez pas difficulté et défaillance : L’essentiel n’est pas de tout bien vivre, mais de le vivre ensemble, en vérité!






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