Accepter de faire du mal : sortir du mythe de la "bonne personne"!
- Véronique Bérard
- 25 sept.
- 5 min de lecture

Il ne s’agit pas ici de faire l’éloge de la cruauté ni d’encourager à faire souffrir. L’objectif est tout autre : apprendre à accepter qu’en étant fidèles à nous-mêmes, certains de nos choix puissent avoir des conséquences douloureuses pour d’autres.
Nous avons souvent grandi dans une vision manichéenne, nourrie d’un idéal judéo-chrétien, où l’on cherche à être une « bonne personne » qui ne fait jamais de mal. Mais cette quête d’innocence est une illusion : chaque décision, même guidée par l’amour ou l’authenticité, crée des renoncements et peut blesser.
Quitter un partenaire, poser une limite, dire non… ce ne sont pas des trahisons, mais des gestes de vérité.
Apprendre à habiter cette réalité, c’est sortir de la culpabilité pour entrer dans la responsabilité.
Comme le rappelle Jung, c’est en acceptant notre Ombre que nous devenons entiers.
Comme l’explique Franck Lopvet, c’est en cessant de fuir notre puissance — qui peut soigner mais aussi blesser — que nous nous réconcilions avec notre humanité.
Une croyance encore très répandue — souvent nourrie par des lectures moralisantes ou des interprétations religieuses mal digérées — veut que « l’amour véritable » ou « la bonté authentique » consistent à se mettre systématiquement au second plan pour satisfaire les besoins de l’autre. Comme si renier ses désirs, ses limites ou ses envies était le signe de la grandeur d’âme.
Or, rien n’est plus faux.
Renoncer à ses propres besoins pour alimenter ceux de l’autre ne fait pas de nous une bonne personne. La seule chose que cela prouve, c’est que nous avons trahi ce que nous sommes. Cela ne dit rien du lien, ni de sa solidité. Cela dit uniquement que nous avons choisi de ne pas nous honorer.
Et surtout, si un lien ne tient que parce que j’accepte de m’oublier, alors il n’est pas un lien mais une dépendance. Il repose sur une dissimulation : je ne dis pas ce que je ressens, je ne dis pas ce que je pense, je cache ce que je désire, simplement pour que l’autre reste près de moi.
Dans ce cas, je ne suis pas la « bonne personne », je deviens la stratège, la tricheuse, l’hypocrite qui entretient artificiellement une relation. C’est certain que vu sous cet angle là, c’est nettement moins sexy comme comportement, vous ne trouvez pas ?
Enfin un autre point à garder à l’esprit : cette croyance (“si je me nie, je serai aimé”) sert en réalité d’excuse pour ne pas être soi.
C’est une échappatoire confortable : je peux me cacher derrière le masque de la “bonne personne” plutôt que de risquer la confrontation, le rejet ou la solitude. Mais ce n’est pas une preuve de grandeur, c’est une preuve de peur.
Ce n’est pas de l’amour, c’est de la peur. Et chaque fois que je nie mes besoins pour préserver l’autre, je viens confirmer à moi-même que ce lien est faible : car s’il était solide, il pourrait accueillir ma vérité. La véritable force d’un lien se mesure à sa capacité à supporter que chacun y soit pleinement lui-même. Tout le reste n’est qu’illusion de sécurité.
Vous trouverez ci-dessous les propos de différents auteurs pour avancer dans la perception sur ce sujet.
🔹 Franck Lopvet
Lopvet parle souvent de notre difficulté à accepter la part de destructeur en nous.
Selon lui, vouloir « ne jamais faire de mal » revient à nier une part de notre humanité. Il explique que nos choix créent toujours des conséquences : faire du bien à l’un, c’est parfois priver un autre, choisir un chemin c’est renoncer à un autre.
Accepter notre puissance, c’est aussi accepter qu’elle peut blesser. Pour lui, sortir du fantasme de « pureté » est une libération.
🔹 Carl Gustav Jung
Jung a beaucoup insisté sur la rencontre avec l’Ombre : la part de nous que nous ne voulons pas voir parce qu’elle n’est pas conforme à l’image idéale de nous-mêmes.
Refuser d’accepter que nous puissions être égoïstes, destructeurs, jaloux ou violents, c’est donner encore plus de pouvoir à ces forces inconscientes. Jung disait :
« On ne devient pas éclairé en imaginant des figures de lumière, mais en rendant l’obscurité consciente. »Reconnaître que nous pouvons faire du mal fait partie de cette intégration.
Cela ne veut pas dire « devenir mauvais », mais cesser de nous mentir à nous-mêmes.
🔹 Donald Winnicott (psychanalyste)
Winnicott parle de la notion de « good enough mother » (la mère suffisamment bonne).
Il souligne qu’aucune mère, aucun être humain ne peut répondre parfaitement aux besoins de l’autre.
L’enfant grandit aussi grâce aux frustrations. Cela peut être transposé : faire du mal à quelqu’un (involontairement, par un choix de vie par exemple) n’est pas forcément destructeur ; cela peut être une opportunité de croissance pour lui, comme pour nous.
🔹 Paul Watzlawick (école de Palo Alto)
Watzlawick rappelait que toute action entraîne des pertes et des gains. Il n’existe pas de choix « neutre » qui préserverait tout le monde. Vouloir « ne pas faire de mal » est une illusion, et souvent une impasse.
Ce qui compte, c’est d’assumer la responsabilité de nos choix et de leurs conséquences, sans se figer dans la culpabilité.
🔹 Boris Cyrulnik
Cyrulnik souligne que la souffrance fait partie de la vie et de la construction psychique. Il explique que chercher à protéger absolument les autres de toute douleur revient souvent à les empêcher de se confronter à leur propre force.
Ainsi, accepter que nos choix puissent faire souffrir quelqu’un, c’est aussi lui reconnaître la capacité de résilience.
🔹 Viktor Frankl
Frankl, dans sa logothérapie, rappelle que chaque acte implique une responsabilité et que nous ne pouvons pas tout éviter :
« L’homme n’est pas libre de ses conditions, mais il est libre de la façon dont il y répond. »Autrement dit, vous n’êtes pas responsable de « protéger » autrui de toute douleur. Vous êtes responsable d’agir selon ce qui vous semble juste, et chacun est libre de sa façon d’y répondre.
🔹 Carl Rogers
Evoque l’idée qu’une relation sans authenticité n’est pas un lien, c’est une adaptation.
🔹 Thomas d’Ansembourg :
Dans Cessez d’être gentils, soyez vrais !, il montre précisément que la “gentillesse” forcée, issue de la peur du rejet, n’est qu’une stratégie qui tue l’authenticité.
Accepter que nous puissions faire du mal n’est pas une faute morale, mais un signe de maturité. Vivre, c’est forcément laisser une empreinte. Vouloir traverser l’existence sans jamais blesser, c’est comme vouloir marcher sur la neige sans laisser de traces : illusoire.
La vraie question n’est donc pas : « vais-je faire du mal ? » mais plutôt : « vais-je avoir le courage d’être vrai, même si ma vérité dérange ? »
Car nul ne sort indemne de cette équation : tôt ou tard, chacun de nous blesse, déçoit ou heurte, parfois même malgré soi. Alors autant que ce soit pour de bonnes raisons : celles d’avoir choisi l’authenticité, plutôt que de s’enfermer dans une pseudo-gentillesse qui n’était qu’une peur travestie.
Et soyons honnêtes : il vaut mieux qu’on vous reproche un « non » clair que d’être applaudi pour un « faux oui ».
L’un ouvre un chemin de respect et de vérité, l’autre ne crée qu’une illusion.
Entre authenticité et fausseté, le choix est vite fait… et il a le goût de la liberté.






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