ttps://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/la-transe-une-capacite-universelle-du-cerveau-1160283?fbclid=IwAR3GL2ucuv_Z2NzmqxOedBSyLBz4QedXH85QhnNGdJMVRoqo32DFufg9uU8
Dans le sillage de l'éthnomusicologue Corine Sombrun, dont l'expérience a inspiré le film « Un monde plus grand », l'état de transe résultant des cérémonies chamaniques est devenu un sujet d'études scientifiques.

Conscience inhibée
La nouvelle étude appuyée par une batterie d'imagerie cérébrale nous en apprend un peu plus : elle montre que non seulement l'hémisphère droit qui exprime nos émotions « s'enflamme » jusqu'à devenir prédominant, mais aussi que le cortex préfrontal, le système conscient analytique distinguant Homo sapiens du règne animal, est légèrement inhibé. « Cet effacement permet à d'autres fonctions cérébrales plus intuitives de s'exprimer. Bien que limités à une seule praticienne hautement qualifiée, les résultats montrent que la transe cognitive induit un état de conscience modifié », expliquent les auteurs. Les mesures ont notamment mis en évidence que, comparé à un état de conscience ordinaire, la rapidité de transmission électrique des flux synaptiques sous transe était six fois plus rapide (50 millisecondes versus 300).
Les travaux scientifiques débutent pour expliquer cet état proche des réactions de survie instinctives. « Nos forces sont décuplées, la sensation de douleur diminue, la perception du temps est modifiée et nous réalisons des gestes qui échappent à notre mode de décision habituel », décrit Corine Sombrun. Ce à quoi la transe donne accès est encore difficile à entendre dans nos sociétés industrielles contemporaines, mais la question interpelle. « Les animaux domestiques sont capables de détecter des maladies. Ils repèrent sans doute des odeurs, des informations dans l'environnement, ce que je ressens parfois », explique la musicologue. Comme si l'état de transe permettait d'entrer « en contact intime » avec tout le vivant, et de ressentir un champ de perceptions peu ou pas accessible dans notre état de conscience ordinaire. « Les scientifiques ont montré que les arbres partagent une forme d'intelligence qui leur permet de communiquer entre eux pour organiser leur développement forestier. Ils transmettent par exemple des indications sur leur état de santé. Il semblerait que nous recevions ce type d'informations durant la transe », explique Corine Sombrun.
Formation à la transe
Grâce à sa formation de musicologue, elle est parvenue à identifier les séquences sonores qui provoquent cet état chez elle, et à réaliser un montage plus efficace que le son du tambour. Lors d'un programme de recherche mené sur 600 volontaires de profils variés, la quasi-totalité (90 %) a vécu la transe. Cette année, le TranceScience Research Institute , qu'elle a cofondé avec le chercheur en résonance magnétique Francis Taulelle, va donc proposer une première série d'ateliers pour le corps scientifique et médical auxquels participeront plus de 160 professionnels. « Comment comprendre l'état de transe sans la pratiquer ? » justifie-t-elle. Ceux d'entre eux qui le souhaitent pourront également recevoir une formation de trois ans pour utiliser ce protocole alternatif dans des études cliniques. « Mobiliser l'émotion plutôt que notre hémisphère cartésien ouvre de nouvelles perspectives de diagnostic et d'empathie avec le patient », anticipe une praticienne candidate.
Des applications thérapeutiques se dessinent, que Francis Taulelle lui-même a pu tester : partiellement paralysé à la suite d'une compression médullaire, le chercheur est parvenu à remobiliser son bassin au cours d'une première transe. Par la suite, il a perfectionné son apprentissage et retrouvé à force de répétitions une motricité totale. « Nous formulons l'hypothèse que la transe amplifie certains potentiels d'autoguérison en permettant au cerveau de lever l'inhibition de circuits neuronaux subconscients », suggère-t-il. Un premier pas vers l'homme augmenté… par lui-même ?
Après avoir été une première fois synthétisé par les chimistes suisses Arthur Stoll et Albert Hofmann en 1938 puis testé en psychiatrie, le LSD avait fini par échapper à la médecine pour se propager dans les milieux artistiques avant d'être classé au rang des substances illicites. Avec l'ecstasy et les champignons hallucinogènes, il revient en grâce dans la recherche pour soigner des troubles de santé mentale. « Contrairement aux autres médicaments qui apaisent les symptômes, ces produits auraient la capacité à réparer le cerveau », explique un chercheur. Une étude réalisée à l'université américaine Johns-Hopkins sur 80 patients cancéreux en phase terminale a par exemple montré une réduction significative de l'anxiété chez 80 % des patients. La même équipe a testé une population de fumeurs : 80 % ont arrêté après six mois, un niveau jamais atteint par d'autres thérapies. Des résultats similaires ont été obtenus avec l'ecstasy : une étude parue dans « The Lancet Psychiatry » explique ainsi que la MDMA, principe actif de l'ecstasy, pourrait soigner les chocs post-traumatiques en provoquant la libération d'ocytocine, l'hormone de l'amour, diminuant l'activité de l'amygdale gauche associée à la peur. Des essais de phase III ont été autorisés aux Etats-Unis. S'ils sont positifs, son usage thérapeutique pourrait débuter dès l'an prochain.
D'autres états de conscience modifiés
Sommeil paradoxal - Lors de cette phase où se concentrent les rêves, l'activité du cortex préfrontal, siège de la conscience, diminue pour laisser s'exprimer des zones impliquées dans les émotions et la vision. Le même phénomène se produit en état de transe.
Hypnose - Cet état crée un équilibre entre les deux hémisphères de notre cerveau, notre esprit logique et rationnel et notre esprit intuitif et créatif. Avec l'hypnose, le thérapeute peut accéder à l'inconscient et activer les capacités d'auto-guérison du patient.
Sophrologie - Cette pratique stimule le travail des ondes alpha (de 8 à 13 Hz) correspondant à la relaxation légère.
Méditation - En se concentrant sur la profondeur, la longueur et la complexité de sa respiration, on peut stimuler la génération des ondes thêta (de 4 à 8 Hz) correspondant à une relaxation profonde.
Yoga nidra - Ce yoga de relaxation profonde est aussi qualifié de sommeil conscient. Les pratiquants les plus expérimentés font apparaître des ondes delta (de 0,5 à 4 Hz) caractéristiques du sommeil profond tout en conservant les yeux ouverts sur le monde.
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